Show-room Artorama


du 30 août au 7 septembre 2013
salon international d'art contemporain

Avec : Thomas Couderc, John Deneuve, Jérémie Setton, Sergio Verastegui






J'ai voulu présenter ici deux pièces récentes, Dessin-Point aveugle et Square, que tout oppose à première vue mais dont la confrontation révèle une forte résonance.
Le premier se présente comme une petite forme suspendue, ronde, molle, d'un gris chaud quand l'autre nous apparait comme un grand carré, rigide, gris bleuté et posé sur une base.
En s'approchant, le premier divulgue l'épaisseur d'un crâne quand l'autre s'impose comme un volume abstrait.
Les deux ne révèlent leurs natures sculpturales que dans le déplacement du visiteur, alors qu'ils se présentent d'abord comme des "images" planes, transparentes, avec des volumes "dématérialisés". La disparition des volumes est obtenue par un travail de compensation des lumières, au dessin d'un coté, à la peinture de l'autre.
Ce ne sont pas un crâne et un polyèdre qui sont présentés mais leurs soustractions au regard, l'évocation de leurs absences.
Ainsi, l'exposition propose la confrontation muette de deux figures classiques (et totalement galvaudées) de l'histoire de l'art que sont le crâne et le carré, devenues archétype du volume et archétype du plan.






Square (Série des Modules Bifaces)
Acrylique sur toile sur châssis en volume,
néons 2 X 58 w, tissus occultant, panneaux mélaminés.
Module 192 X 63 X 46 cm, espace 250 X 200 X 400 cm







Point aveugle
Acrylique et crayons de couleur sur plâtre, néon 15 w.
Caisson, 35 X 50 X 55 cm







Le travail de Jérémie Setton opère de façon dialectique et épiphanique, en nous immergeant dans l’expérience relative et temporelle de la perception.
Dans ses modules ou installations, pour lesquels on laissera au lecteur le choix de l’épithète esthétique adéquate (car il s’agit de modules autant picturaux sculpturaux que performatifs) il se plaît à renverser les paradigmes habituels de la tradition picturale, qu’elle soit d’ailleurs abstraite ou figurative.
Là où pendant des siècles, l’art occidental a essayé de créer et de convoquer sur un support plan l’illusion de la tridimensionnalité mimétique ou la construction d’une spatialité picturale abstraite, Setton semble poursuivre un objectif diamétralement opposé: car chez lui la peinture sort du plan, voire du cadre, elle est appliquée à un objet tridimensionnel dont elle vise à annihiler précisément la plasticité afin de le faire apparaître uni et bidimensionnel.
Une autre façon d’introduire sa démarche reviendrait à en souligner la pratique de compensation, compensation des valeurs et des contrastes, chromatiques et lumineux, là encore où notre tradition de représentation esthétique viserait justement a priori à les susciter. Setton unifie, patiemment et avec une discipline empirique stricte, presque scientifique. En fonction des cas et des situations spécifiques, il unifie des lumières opposées par le jeu des couleurs ou, au contraire, résout les oppositions de tonalités chromatiques distinctes par une simple gradation de lumières blanches. En ce sens, l’abolition des ombres, vecteurs premiers de la matérialisation du temps dans l’espace, équivaut aussi à une suspension de la temporalité dans le champ esthétique.
Mais si le travail semble viser l’absolu de l’atemporalité, à la façon d’une épure du temps et de l’espace, l’équilibre est fragile. Setton le sait et en joue. Car, en réalité, c’est précisément le caractère instable de cet équilibre qui l’intéresse. Du coup, l’épiphanie qui confond le spectateur face à ses œuvres réside justement en une rupture de cet équilibre, en la révélation de l’illusion de l’artifice, et ce, par le simple fait du déplacement du regardeur. C’est là que ses modules, ses installations, ses objets picturaux se révèlent en fait comme des espaces inclusifs: Ils absorbent et intègrent la présence du spectateur, et se voient activés par ce dernier. En ce sens, le champ pictural est, chez Setton, expansif, relatif et, en quelque sorte, performatif.
Le geste, le labeur la maestria de l’artiste ne se révèlent que quand l’œuvre bascule du fait de la présence perturbatrice du spectateur. Tendant à l’invisibilité, à l’effacement, son art s’impose et se révèle au moment où il semble se défaire.

C’est ainsi que Square, le module biface qui est au cœur de la présentation opérée pour le Show Room est à la fois l’image d’un plan et l’image d’un monochrome, sans être ni l’un ni l’autre. En effet, ce que nous percevons de prime abord, un carré en aplat d’un gris bleuté reposant sur une base blanche, résulte de l’amalgame perceptuel entre deux faces d’un volume biface, peintes en des tons assez contrastés. La mesure de ces contrastes est posée par l’éclairage de lumière blanche latérale précisé dès le départ et contrôlé au moyen de réflecteurs. Les couleurs appliquées dans la face dans l’ombre et la face exposée à la lumière sont réalisées et appliquées de façon empirique jusqu’à obtenir une résolution totale des contrastes et des volumes. Le titre de l’installation, s’il représente un hommage détourné à l’une des œuvres emblématiques de l’art abstrait, renvoie également à l’acception usuelle du terme comme un espace de circulation. Car c’est en effet la déambulation du spectateur autour de l’objet picturo/sculptural qui en révèle le sens.
En prolongation de ce jeu sur un module géométrique, Setton présente également un objet pictural que l’on perçoit d’abord comme une forme quasi-ronde et transparente, peinte dans un gris chaud. Encastré dans un caisson, l’objet n’invite pas ici à la déambulation. En s’approchant, on aperçoit néanmoins les contours d’une forme et de volumes plus contrastés ressemblant à un crâne, entièrement recouverts d’un jeu de fines hachures de traits de couleur. Ainsi que ne le spécifient pas les titre et sous-titre de la pièce (Dessin – Point Aveugle), l’objet est bel et bien un crâne (forme archétypale s’il en est de notre tradition picturale, symbole de vanité etc.) mais entièrement recouvert d’un dessin qui reprend et compense en négatif le jeu d’ombres et de lumières sur l’objet. On comprend ici qu’à l’inverse d’une tentative de restitution picturale d’objet absents, l’application de la peinture (ou plutôt, en l’occurrence, du dessin) aboutit chez Setton à une sorte de mise en absence de l’objet réel. Le titre de la pièce renvoie à l’ambiguïté liminale de l’objet en terme de statut esthétique (entre objet sculptural et dessin), tandis que le sous-titre renvoie à la cécité (relative et organisée) du spectateur, ainsi qu’à la disparition de la perception des orbites du crâne proprement dit.
De l’un à l’autre, on se rend compte que Setton traque ce moment précaire où l’épaisseur du réel se fait plan et image dans notre esprit. Dans les processus de création et de mise en image qu’il emploie, c’est précisément l’absence de cette dernière qui est invoquée, alors même que l’effet soustractif de disparition est paradoxalement obtenu par adjonction de matière.

Texte Emmanuel Lambion, pour Artorama 2013



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